Démocratie participative ou café du commerce ?

Publié le par Marc Girondot

Où la démocratie participative peut être le meilleur comme le pire des systèmes…

Le terme démocratie d’un point de vue étymologique désigne à l'origine un régime politique dans lequel tous les citoyens participent aux décisions politiques. Sur cette base, il existe une infinité de solutions permettant de faire vivre la participation de la population. Des tentatives de classification, qui remontent pour les plus anciennes connues à Aristote et Polybe, permettent de décrire la participation du peuple ou des citoyens au processus démocratique en monarchie, oligarchie ou dictature. Notez qu’historiquement un dictateur n’était pas forcément un tyran mais un système dans lequel un homme avait temporairement tous les pouvoirs. Actuellement la démocratie se décline en de très nombreuses formes et celles mises en place dans la société française moderne est une démocratie indirecte ou représentative : les citoyens élisent des représentants qui sont chargés d'établir les lois ou de les exécuter. Les représentants sont choisis sur la base d’un programme qu’ils s’engagent à respecter peu ou prou sachant qu’entre la période de la campagne électorale et l’application de ce programme il peut subvenir des évènements qui rendent caduques tout ou partie du programme. L’évaluation du travail effectué au cours d’un mandat s’effectue en général au cours de l’élection suivante, à moins qu’une procédure de destitution soit mise en place. Ce système représentatif, ou indirect, fut assez rapidement critiqué. Par exemple, Jean-Jacques Rousseau dans le Contrat Social, considère que la démocratie ne peut être que directe : « La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu'elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale et la volonté générale ne se représente point ». Le fonctionnement d’une société sans représentation fut l’idéal des anarchistes au début du XIXème siècle décrit par exemple par Bakounine (Étatisme et anarchie, 1873) mais toutes les mises en pratique ont échoué : on a cru alors qu’il était impossible de faire fonctionner un système démocratique sans représentation.

On en était là mais il devenait de plus en plus évident que la démocratie participative ne répondait pas ou plus aux enjeux qui l’avaient vu naître. L’abstention grandissante lors des élections en est un marqueur évident. Comment donner à nouveau l’envie de la chose publique à une population ou des citoyens est un enjeu majeur.

La notion de démocratie participative, apparut dans les années 1960, s'est développée dans le contexte d'une interrogation croissante sur les limites de la démocratie représentative.

Dans la démocratie participative, les citoyens sont associés aux décisions prises par les représentants, dès l'élaboration et jusqu'à leur application. On peut alors se demander comment faire cohabiter une démocratie représentative et une démocratie participative puisque les deux organisations sont largement incompatibles : un élu a été choisi sur la base d’un programme qu’il s’engage à mettre en œuvre et en cela acquiert une légitimité. Pourquoi alors faire intervenir dans la redéfinition du programme ou sa mise en œuvre un public qui n’a pas la légitimité pour le faire ?

Différentes raisons peuvent être invoquées permettant de justifier l’intérêt de la démocratie participative. Tout d’abord le niveau de technicité nécessaire pour appréhender l’ensemble d’un sujet peut parfois dépasser les compétences d’un seul homme alors que ces compétences se trouvent effectivement dans la population. En ce sens, la participation du public à la définition d’objectifs peut permettre d’ouvrir des perspectives qui n’étaient pas apparues au premier abord. Cette démocratie des experts n’est pas cependant ce qui est habituellement mis en avant des tenants de la démocratie participative. En effet, les experts sont souvent vu comme déconnectés de la réalité quotidienne des habitants même si, en disant cela, on oublie qu’ils sont eux-mêmes des habitants.

Les tenants de la démocratie participative font plutôt le pari de « l’intelligence collective ». L'intelligence collective ou de groupe se manifeste par le fait qu'une équipe d'agents coopérants peut résoudre des problèmes plus efficacement que lorsque ces agents travaillent isolément : l’image est celui d’une fourmilière où chaque fourmi n’a pas conscience de l’information très complexe qu’elle génère à l’échelle du groupe. Quels sont les prérequis pour qu’une démocratie participative soit une bonne fourmilière ? Il faut un mécanisme d’auto-organisation et de très nombreux agents. Est-ce comme cela que doit fonctionner la démocratie participative ? On met tout le monde dans une salle et du brouhaha nait la vérité ? Clairement non.

Elle doit s’appuyer sur une « citoyenneté active et informée » et sur la « formation d'un public actif, capable de déployer une capacité d'enquête et de rechercher lui-même une solution adaptée à ses problèmes » (John Dewey, Le Public et ses problèmes, 2003).

On voit apparaître clairement ici que pour que la démocratie participative ne soit pas au niveau des discussions du café du commerce, il est indispensable que le public soit formé aux enjeux du sujet qu’il a à traiter. On rappellera par exemple que la convention citoyenne sur le climat réunit en 2019 et 2020, avant d’émettre des avis, a eu 6 mois de formation sur les enjeux du changement climatique et de la politique énergétique (ce qui ne l’a pas empêché d’ailleurs de produire des recommandations qui pour certaines sont inapplicables !). Croire qu’on peut construire une démocratie représentative en tirant 10 personnes au hasard dans la commune et en leur demandant leur avis est un peu illusoire. Il est indispensable que ces personnes aient une appétence pour le sujet à traiter et soient d’accord pour se former sur le sujet avant d’être capables d’émettre des avis pertinents. Mais n’est-on pas en train de rétablir une démocratie des experts ? Et il est facile, en filtrant l’information transmise, de guider les réponses formulées par le groupe. Par ailleurs, si on laisse ouverte les candidatures, il y a le risque que le système soit préempté par un groupe qui amène des propositions inverses de ce que la majorité de la population aurait choisi lors du vote de sa représentation.

Donc en conclusion de ces petites digressions démocratiques, la démocratie participative peut être un atout pour revigorer la démocratie mais il y a de nombreux écueils dont il faut être conscient. Tous les sujets ne se prêtent pas à leur prise en charge par cette démocratie directe ; ce seront préférentiellement des sujets prospectifs nécessitant du temps long et non des sujets à mise en œuvre immédiate. Par ailleurs, il est indispensable qu’il y ait une formation complète et contradictoire sur les sujets à traiter. En ce sens, on peut regretter le peu de place laissé à l’instruction civique dans les programmes scolaires. Ou bien est-ce plutôt à l’âge adulte que cette formation devrait être faite ? Je rêve d’un cycle de conférences ouvert au public sur le fonctionnement des différentes strates administratives : commune, département, établissement public territorial, métropole, région, état. C’est la première étape pour avoir une démocratie participative fonctionnelle.

 

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